Les 5 étapes du deuil : mythe ou réalité ?

Le modèle Kübler-Ross pour mieux comprendre le processus de deuil
Déni, colère, marchandage, dépression, acceptation. Ces cinq mots résonnent dans l’esprit de nombreuses personnes confrontées au deuil, comme une feuille de route incontournable vers le mieux-être. Popularisé par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross dans les années 60, ce modèle a profondément marqué notre compréhension collective du deuil. Mais près de 55 ans après sa publication, que nous dit la recherche scientifique moderne sur ces fameuses étapes ?
L’origine d’un modèle révolutionnaire
Elisabeth Kübler-Ross n’avait pas initialement conçu son modèle pour les personnes endeuillées. Sa théorie décrivait les réactions psychologiques des patients face à l’annonce de leur propre mort imminente. Cette nuance est souvent oubliée, elle explique en partie pourquoi l’application de ce modèle au deuil des proches s’avère parfois inadéquate.
À l’époque de sa publication, le travail de Kübler-Ross représentait une avancée majeure. Dans les années 1960, la mort restait un sujet largement tabou dans la société occidentale. Les mourants étaient souvent isolés et leurs familles démunies face à l’épreuve. La psychiatre a identifié des phases communes avant de mieux prendre en charge les patients en fin de vie.
La recherche contemporaine
Les études contemporaines nuancent la vision linéaire du deuil. La majorité des personnes endeuillées ne traversent pas ces cinq étapes dans l’ordre prescrit, il arrive même qu’elles ne les traversent pas du tout ou qu’elles le font en partie.
Parfois, des individus font preuve d’une « résilience naturelle » face au deuil (George Bonanno). Ces personnes maintiennent un niveau de fonctionnement relativement stable et intègrent leur perte.
Le deuil n’est pas une maladie dont il faut guérir, mais une expérience humaine nécessaire qui se manifeste différemment selon les individus. Cette perspective remet en question l’idée même d’un processus de deuil « normal » ou « pathologique ».
Les dangers d’une approche trop rigide
L’adoption massive du modèle Kübler-Ross a eu des conséquences inattendues. De nombreux endeuillés se retrouvent aujourd’hui prisonniers d’attentes irréalistes, s’inquiétant de ne pas ressentir les « bonnes » émotions au « bon » moment. Cette pression peut générer culpabilité et anxiété supplémentaires, compliquant paradoxalement le processus naturel d’adaptation.
Les professionnels de l’accompagnement témoignent régulièrement de cette réalité. Des patients s’excusent de ne pas être en colère ou s’inquiètent de ne pas avoir vécu certaines phases.
Les travaux de Elisabeth Kübler-Ross restent une référence mais ils ne doivent pas devenir une norme.
La réalité complexe du deuil individuel
Les neurosciences modernes nous enseignent que le deuil active simultanément plusieurs régions cérébrales : les zones liées à la douleur physique, à la mémoire, aux émotions et aux systèmes de récompense.
Cette activation explique pourquoi l’expérience du deuil varie tant d’une personne à l’autre.
Certains facteurs influencent significativement cette variabilité :
- La nature de la relation.
- Les circonstances du décès (un décès soudain provoque souvent un choc différent d’une mort attendue après une longue maladie).
- Les ressources personnelles (l’âge, la personnalité, les expériences passées de deuil, le soutien social disponible).
- Le contexte culturel (rituels et croyances offrent des cadres différents pour exprimer et vivre le deuil).
Vers une compréhension plus nuancée
Plutôt que de parler d’étapes fixes, les experts actuels préfèrent évoquer des « tâches » ou des « défis » du deuil : accepter la réalité de la perte, ressentir la douleur du deuil, s’adapter à un environnement où la personne décédée est absente et maintenir une connexion avec le défunt tout en réinvestissant dans la vie.
Cette approche permet plus de flexibilité pour la personne endeuillée, qui accepte que ces tâches puissent être abordées simultanément, dans différents ordres et à différents rythmes selon les individus, sans culpabiliser.
L’importance du soutien adapté
Comprendre que le deuil ne suit pas un schéma prédéfini transforme radicalement l’approche de l’accompagnement. Plutôt que de chercher à identifier « où en est » la personne endeuillée, l’entourage peut se concentrer sur l’écoute empathique et le soutien inconditionnel, qui restent les deux meilleures clés pour accompagner la personne.
Cette évolution de perspective influence aussi la formation des professionnels. Les thérapeutes apprennent désormais à accueillir chaque deuil dans sa singularité, sans référence à un modèle unique.
Quand s’inquiéter vraiment ?
Si le deuil est un processus individuel, certains signaux doivent néanmoins alerter. Les professionnels identifient des red flags : isolement social prolongé, incapacité persistante à fonctionner au quotidien, idées suicidaires ou absence de réaction émotionnelle plusieurs mois après le décès.
Ces situations nécessitent un accompagnement professionnel spécialisé, non pas parce que la personne « fait mal son deuil », mais parce qu’elle traverse une période particulièrement difficile nécessitant un soutien adapté.
L’accompagnement par un professionnel de la santé s’avère nécessaire.
Si besoin, contactez le soutien psychosocial de la Croix Rouge : https://www.croix-rouge.fr/soutien-psychosocial-par-telephone
Leur numéro : 0800 858 858